Jean-Marie GUYAU
Jean-Marie GUYAU
2008
Pour des raisons de santé, Guyau rejoindra rapidement le Sud de la France - dont le paysage lui inspirera des pensées philosophiques.
Ainsi de l’agave, plante étonnante, pouvant vivre de très nombreuses années (on parle parfois d’agave centenaire) et qui ne connaît pourtant qu’une floraison et dont chaque feuille porte l’empreinte douloureuse du tout.
Nous présenterons deux textes de Guyau qui parlent de l’agave. Le premier est tiré de son oeuvre la plus connue, l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, et dans laquelle notre auteur tire des marques de l’agave des considérations sur la nature sociale du “moi”. Le second texte, la première partie du dernier poème des Vers d’un philosophe, s’intéresse à l’agave au point de vue de l’unique floraison qui commande l’existence de cette plante si singulière.
“Ni mes douleurs, ni mon plaisir ne sont absolument miens. Les feuilles épineuses de l’agave, avant de se développer et de s’étaler en bandes énormes restent longtemps appliqués l’une sur l’autre et formant comme un seul cœur ; à ce moment, les épines de chaque feuille s’impriment sur sa voisine. Plus tard, toutes ces feuilles ont beau grandir et s’écarter, cette marque leur reste et grandit même avec elles : c’est un sceau de douleur fixé sur elles pour la vie. La même chose se passe dans notre cœur, où viennent s’imprimer, dès le sein maternel, toutes les joies et toutes les douleurs du genre humain ; sur chacun de nous, quoi qu’il fasse, ce sceau doit rester.”
Jean-Marie GUYAU, Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction
“Sur le roc se dresse un agave :
Là, dans les airs, depuis longtemps,
Il croît, plante impassible et grave,
Que n’émeut jamais le printemps.
Ni fleurs ni fruits dans sa verdure ;
Roide sur le granit brûlé,
Jamais sa feuille énorme et dure
A nul vent tiède n’a tremblé.
Tout d’un coup, après des années,
La plante sent une douceur.
Ses feuilles s’ouvrent étonnées :
Une tige part de son cœur,
Tige puissante qui s’élance,
Telle qu’un arbre, droit dans l’air,
Et qui, joyeuse, se balance
A la folle brise de mer !
Au soleil, comme par prodige,
D’heure en heure on la voit grandir :
Déjà, du bout de la tige,
Des boutons cherchent à sortir.
Ils s’ouvrent : la fleur triomphante,
Portée au ciel comme en un vol,
S’épanouit ; alors la plante,
L’œuvre achevé, meurt sur le sol.
Elle ne vivait, immobile,
Rassemblant toute sa vigueur,
Que pour voir, - sublime et fragile, -
Cette fleur monter de son cœur.”
Jean-Marie GUYAU, Vers d’un philosophe, “L’agave-Aloès”
L'agave
12/11/08